Je regarde les photos de ma petite enfance. Je suis souvent dans le bain, comme tout le monde. Il y en a une où je suis assis sur une chaise de bois et tiens l’immense accordéon de mon père sur mes genoux. Une autre a été prise en plein hiver. Je me prépare à glisser du haut d’une montagne de neige pelletée par mon père. Puis, il y a celle où je tiens tout seul dans le creux d’une branche d’arbre, emmitouflé jusqu’aux oreilles. Une tache blanche dans l’automne quatre-vingt-un.
Ma mère était
assez jolie fille, toujours souriante. À chaque année, elle est celle de biais
au gâteau d’anniversaire, une main posée sur mon épaule droite, debout entre la
cuisine et la salle à manger. Une chaude journée d’été commencée tôt pour que
s’inscrive en moi le sentiment d’être aimé, la certitude de valoir la peine.
Cette forteresse
d’où j’épiais le monde est devenue un long corridor encombré. Plus de bougies
pour moins de lumière. Plus jamais, mon anniversaire.
***
On m’expliqua
beaucoup plus tard, quand je fus en âge de comprendre, que cette forteresse que
je croyais inébranlable était en fait un lieu qui craquait de partout et où
personne n’osait jamais mettre les pieds. Les montagnes de neige de papa sont
alors devenues des phases maniaques. Les sourires de maman, le pâle reflet de
l’Ativan. C’est toute l’enfance qui revenait à la maison, un œil au beurre noir
avec une basket en moins. La réalité gagnerait toujours sur l’imagination. De
bien longs détours qui au bout du compte n’auront sauvé rien ni personne.
À ma première
dépression, on ne manqua pas de me parler du facteur héréditaire. On ne vient
pas des voisins, surtout qu’on ne les voyait jamais. On a refait le chemin à
l’envers pour trouver des indices. On a déplié la carte, relié des points, rayé
des zones et découvert des passages. Drôle comme les choses paressent évidentes
lorsqu’on se donne la peine de se pencher pour regarder. Aussi, je ne suis pas
différent des autres. Je préfère croire que ça passera en vent plutôt que de
m’encombrer d’un parapluie pour toute la vie.
Je pense à un vieil ami qui, lorsqu’il était en proie à une période dépressive, se mettait systématiquement
à repeindre son appartement. Il roulait toute la nuit, des pigments de couleurs
qui allaient donner un nouvel élan de vie à son trois et demi. Quétiapine aidante,
il finissait par s’endormir dans la lumière du petit matin, épuisé et seul. Un
fœtus tout habillé au nord de Rosemont. Une lacune dans le monde des
communications et du design d’intérieur. J’ai bien essayé de visser trois
tablettes le mois passé. Il m’aura fallu l’aide d’une professionnelle.
- Toi, es-tu un
clown triste ou un vrai clown ?
Mes parents
n’étaient pas clowns. Pas été élevé dans un cirque non plus. J’aime faire rire.
Comme d’autres aiment faire chier, je suppose. Il y a dans l’acte de rire, quelque
chose qui échappe au fardeau de l’existence. Et l’on préfèrera toujours la
compagnie des gens comiques à celle des gens aux prises avec des problèmes de
sérotonine. C’est plus convenable lors d’évènements et ça empêche la
conversation de raser le plancher.
- As-tu déjà songé
au suicide ?
Oui, souvent.
Mais non. C’est
juste une blague.
***
Je regarde une
photo de mon père. Un petit cadre que j’ai dépoussiéré puis installé sur le grand bureau, juste
à côté de ma prière de sérénité. Pour la première fois depuis sa mort, je lui
en veux. Je lui en veux de ne pas avoir été quelqu’un d’autre et exige de lui
qu’il me donne au moins le courage. Il me regarde sans dire un mot, sachant bien que je suis fait de lui et qu'importe la manière, je devrai trouver la lumière.
Mon cellulaire
sonne encore. Un rythme électro que j’avais choisi au départ parce qu’il me
faisait penser à une chanson de Radiohead. À force de ne jamais décrocher, la
ressemblance a fini par devenir insupportable. Répondre à ce foutu téléphone.
Je reconnais la
voix. C’est cette voix de petite fille que le temps n’arrive pas à érailler.
C’est maman qui me téléphone pour mon anniversaire.
C’est maman qui me téléphone pour mon anniversaire.
Maintenant à la retraite, elle me raconte l'angoisse que lui cause tout ce nouvel espace sans repères et libre d'obligations. On se ressemble tellement, elle et moi. Comme si le vide allait nous avaler tout rond. Je ne peux m'empêcher de lui faire part que je traverse des moments plus difficiles et que ça me préoccupe à cause de la maladie de papa. Je ne manque pas de la rassurer en lui disant que je suis bien entouré et que je suis suivi de près par un médecin, en plus de l'intervenante psychosociale. Pour couper court à l'émotion, je lui souligne mes bons coups de la dernière année. Je lui parle de ma bourse scolaire, de mon abstinence de drogue et d'alcool, de mes performances à la course, de musique et d'écriture. Je lui parle avec un enthousiasme inespéré des cours qui reprendront sous peu et du bel avenir qui se dessine devant moi.
Comme toujours, elle me dit qu'elle n'est pas inquiète, qu'elle sait que je suis capable.
***
Endormi au pied d'un arbre,
un Lion dans l'été deux mille quatorze.
La vie reprend mon corps.
La forteresse a traversé le corridor.
La forteresse a traversé le corridor.
Schmout
Robin Williams 1951-2014