jeudi 30 janvier 2014

Apprendre à vivre


Une vraie crisse de matante. Le beige absolu. Les chaussettes antidérapantes. Les pyjamas à motifs d’animaux. La cafetière à mise en marche préprogrammée. Les programmes le lundi, le mercredi, le dimanche.

-  J’aime ça les gars qui ont d’la drive. 

Les gars fort qui n’ont pas peur de se salir. Le poil entre les jointures. La panthère sur le hood de la Camaro. Le poil dans le dos. L’épilation au laser. Le bikini, les aisselles, le corps au complet. Le dauphin tatoué juste en haut du pubis. L’erreur de jeunesse. Regarder en avant. La compagnie. Les employés. La fifthwheel. Les fins de semaine de trois jours. La 15 nord, le chalet, le bord de l’eau, les enfants qui pissent dans l'eau. Les faux amis dans le Spa pas payé. 

Les 5 à 7 à brasserie. Les pitounes. Le jukebox. La bonne toune. Le cellulaire qui répond pas. La coke sur le réservoir de toilette. Le poing sur la table. Le poing dans le mur. Le poing sur la gueule. Les points de suture. 

-  Amour, tu viens d'où? On ne t'a jamais montré comment faire?

Le monde de l’enfance! Le quatre roues, le Ski-Doo, la piscine hors terre, le camp de jour. Le jardin, les légumes de saison et tous les amis à la maison! Les draps blancs, les serviettes qui sentent le propre. L'assouplisseur textile. Le linge à mode. La rigueur, la discipline. La balayeuse centrale. La souffleuse à feuilles mortes. Propre à manger à terre. 

Manger à sa faim. Épicurien. Manger tout le temps. Manger pour se remplir. Remplir le vide pour ne pas mourir tout le temps. Mourir de honte, couché à terre. Mourir drogué. Manquer d'amour. Manquer de lait. Manquer sa recette. Manquer l’autobus. Manquer de confiance. Manquer de se tuer. Manquer sa vie. Toujours chercher l’âme sœur. Une belle âme. L’âme nue. La porno, les kleenex, l’huile d’olive en spéciale. 

-  T’es juste un esti de jaloux.

Téléphoner à maman le mardi, le jeudi, le samedi. L’épicerie au maxi. Les bonnes nouvelles des autres. Les animaux de compagnie. La famille tricotée serrée. Tricoter des bas en famille. Système D. Accord D. Double D. Père décédé, mère effacée. Tricoter pour survivre. Serré dans un étau. Système de marde. Accord mineur, double dépression. L’héro. L’accident de char. Un char de marde.  

-  Arrête donc de t’apitoyer.

Le jovialisme. Le bonheur à quatre heures. La marmaille. Les heures de pointe. La performance. Au travail. En famille. En amour. Sexuelle. Maternelle. Sportive. Académique. Performer sa vie. Joindre les deux boutes. Blanc comme un œuf. Un trou gros de même dans le milieu du cœur. Les antidépresseurs. Les anticoagulants. La peur du monde. La peur de finir tout seul comme un chien. 

Pyjama d'animaux. Âme perdue. 

Une vie antidérapante. 



Schmout













dimanche 26 janvier 2014

Pleurer pour rien


Demander des choses à Dieu n’a rien de très impliquant. On ferme les yeux, on demande, on essuie les larmes, on continue de vivre et on oublie qu’on vient de placer une commande.


Puis, un petit matin comme les autres, on se réveille bandé. Pas bandé physiquement. Bandé dans le cœur. On se sent appartenir à quelque chose de plus grand. On se sent plus fort, plus solide. La vie nous sourit de toutes ses dents. Ça brille tellement que ça fait presque mal. Et puis tout à coup, pour aucune raison apparente, on se remet à avoir peur. Peur de quoi? Peur que ça finisse. Là, on se couche dans la vie jusqu’aux oreilles, et puis on se met à manquer d’air. On suffoque. On ne sent plus rien. Puis, on s’aperçoit qu’on ne bande plus autant qu’avant.

***

Avant de manquer d'air, il se passe d'autres choses. Le signal d'alarme, c'est que tu commences à vouloir être quelqu'un d'autre. Tu voudrais être capable de bouger les membres de ton corps d'une nouvelle manière. Mais comme cette manière n'est pas la tienne, tes mouvements maladroits retournent d'eux-mêmes dans leurs vieux sillons. Et c'est le sabot de Denver.

Tu voudrais une silhouette un peu différente, moins de hanches, des cheveux plus forts, un plus gros membre, tant qu'à faire. Et pourquoi pas deux yeux pas de la même couleur, comme Bowie pis l'autre fendant que t'as croisé à l'épicerie?

Tu voudrais faire du parachutisme, manger du crocodile vivant et grimper des volcans comme le monde dans tes notifications. Socialement, tu voudrais que ta seule présence soit une source intarissable d'énergie et de bonheur, même pour les choses qui ne respirent pas. Un coeur sur deux pattes. Même sur une, tu serais capable. Une aura grande de même. Tu voudrais que le monde parle de toi comme on parle d'une attraction incontournable, quelque chose qui vaut vraiment le détour.

En même temps, tu voudrais te dissocier de la masse, celle qui te respire dans l'oreille à chaque matin sur la ligne orange pendant que tu te cherches dans le métroflirt. Tu voudrais avoir ce petit quelque chose de plus, l'étincelle, le raz-de marée. Mais tu finis toujours par te trouver un petit quelque chose de moins.

Le sais-tu vraiment, ce que tu veux?

Il me semble que tu méditais avant. Ça t'aidait ça. Tu respirais mieux. T'étais moins fatiguant aussi. Tu avais ouvert un espace en dedans de toi. Un gros tuyau invisible qui te passait bord en bord du corps et où la vie circulait librement sans jamais se coincer l'cul dans ta gorge. As-tu une application qui fait ça?

Tu mangeais des légumes et des fruits. Des légumineuses aussi. Tu dormais ton huit heures, faisais ton jogging. T'avais pas besoin de pilules pour rien. T'étais libre en dedans comme en dehors. C'est quoi cette vieille prison-là?

Normalement, c'est là que Dieu commence à te faire de l'oeil: "Pis si tu penses qu'avoir une plus grosse graine va régler toutes tes problèmes mon ti-proutte, j'ai deux trois signes pour toé". Il ne parle pas comme ça, mais c'est ça que ça veut dire.

***

Demander des choses à Dieu n’a rien de très impliquant. On ferme les yeux, on demande, on essuie les larmes et on continue de vivre en essayant de ne plus oublier que nous avons déjà toutes ces choses. 

Et bien plus encore.   



Schmout 








mercredi 22 janvier 2014

Plus vieux que l'hiver


Elle s'est laissée tomber à plat ventre sur le lit, en poussant un long soupir. J'avais le souffle court et me sentais beaucoup plus vieux que je ne le suis en réalité. Étourdi, je suis resté agenouillé derrière elle sans bouger, détaillant le petit dessin qu'elle avait de tatoué dans le bas du dos. Je voulais que cette image reste imprégnée en moi pour toujours, comme les gens font avec les plus beaux moments de leur vie. 

Elle s'est alors retournée brusquement, le visage caché sous une mèche de cheveux, mèche qu'elle replaça aussi tôt derrière son oreille pour laisser jaillir un immense sourire.

-  Ça coule!

Je me suis levé d'un trait pour aller à la salle de bain. J'ai pris une débarbouillette dans l'armoire sous l'évier et l'ai passée sous l'eau tiède avant de revenir au pas de course. Je me suis assis sur ses jambes et j'ai épongé délicatement le sperme.

-  C'est froid!

Pourtant, l'eau était tiède, que je me suis justifié dans ma tête, comme si on me chicanait à tort. Une forte impression de maladresse gonfla dans mon ventre puis me monta dans les joues. Je me suis senti rougir. Mon sexe s'était maintenant rétracté. J'ai terminé mon nettoyage à la hâte et j'ai laissé tombé la débarbouillette au sol avant de m'étendre à côté d'elle. 

-  Pourquoi tu ne t’étends pas dans le même sens que moi? 

Ne sachant pas trop la réponse, je lui ai pincé le petit orteil.

-  Aille, ça fait mal!

Elle s'est recroquevillée sur elle-même, puis est ensuite venue coucher sa tête sur mon torse en tirant le drap de coton sur nos corps. On s'est regardé en silence pendant de longues secondes. J'avais envie de lui demander comment elle avait trouvé ça, si elle avait aimé, si je l'avais fait jouir, si elle m’aimait. Je n'ai rien dit du tout.

J'espérais secrètement qu'elle entame la conversation sur le sujet, qu'elle me rassure. Mon coeur battait très fort. Je l'entendais résonner contre l'os de sa joue. Je craignais qu'elle s'en aperçoive, qu'elle me fasse la remarque. J'ai essayé de penser à autre chose. Quelque chose de calme et d'apaisant, comme un champ de blé à perte de vue, valsant au rythme du vent. Un avion qui passe en haute altitude. Le chant des insectes. Quelques nuages à l'horizon, flânants autour du soleil de midi. Respirer. Seulement respirer. 

Un léger ronflement me tira de ma rêverie. Elle s'était assoupie. La peau de ses flancs était lisse et pâle. Ses cheveux avaient une odeur subtile et excitante, comme celle qui arrive juste avant les orages. Elle semblait venir d'ailleurs tellement tout autour d'elle paraissait irréel. Ses bas collants lignés noir et mauve trainaient au pied du lit avec sa camisole. Ses vêtements avaient eux aussi un attrait singulier. Beaucoup de gris et de textures. De la laine et du feutre surtout. Son écharpe rose pendouillait sur un crochet dans l'entrée, juste au dessus de ses robustes bottillons de garçon.

J'ai relevé doucement sa tête pour libérer mon épaule ankylosée. Dérangée, elle a passé son bras autour de ma taille et m'a serré fort. Me suis demandé si elle me trouvait un peu gros. Puis, me suis dit qu'elle pouvait aussi se sentir en sécurité, là, contre moi. 

Au fond, je n'en savais rien.

La sécurité, ce sentiment étrange qu'on cherche à tenir en laisse par le billet d'assurances de toutes sortes. Ce sentiment qui m'échappe chaque matin, à la seconde où j'ouvre les yeux. Ce sentiment qui, à chaque fois qu'on m'en parle, me semble être une ile lointaine sur laquelle je ne poserai jamais pied. C'est un peu tout ça qui fait battre mon coeur trop fort. Heureusement, il y a des assurances pour ça aussi, les coeurs qui s'emballent et menacent de s'arrêter.

Du lit, nous pouvions voir à l'extérieur. La neige folle allait et venait dans tout les sens, dessinant des courants d'air au sommet des arbres morts. La petite porte moustiquaire craquait sous la force du vent. Le calorifère fonctionnait à pleine capacité. Il était à peine midi, mais on aurait dit qu'il était près de seize heures, tellement le temps était couvert. Les ciels d'hiver font souvent paraître le jour beaucoup plus vieux qu'il ne l'est en réalité. 




Schmout



                                        

vendredi 17 janvier 2014

La femme


J’ai hésité un moment avant de t’écrire. On se chicanait tellement souvent dans les derniers moments. J’avais raison, tu avais tort. J’avais tort, tu avais raison. Je faisais des longueurs dans le couloir. Et tu pleurais, la tête contre l'évier. Pourtant, j’ai souvenir qu’au début, on ne cherchait pas à savoir lequel de nous deux était dans l’erreur. Nous n’étions pas une erreur.

Ça n’a pas été un hasard non plus. Je me souviens très clairement d’un soir d’automne où nous avions été te reconduire à la maison en voiture, une amie et moi. Tu regardais par la fenêtre. Je me demandais où tu étais, à quoi tu pouvais bien penser, qu’est-ce que tu voyais. Je n’entendais plus rien. J’étais avec toi, là dehors.

Y avait-il quelqu’un là-haut, dans cet appartement ? Sûrement pas. Y avait-il quelqu’un hier ? Je ne sais pas. Là où tu regardais, il semblait n'y avoir personne. Et puis tu es sortie de la voiture. Mon amie te disait combien ça avait été agréable de passer ce moment avec toi. Je voyais que ce moment s’achevait.

J’avais cherché à te regarder, à te parler avec mes yeux. Je voulais que tu m’emmènes avec toi, là-haut ou ailleurs. Je voulais que tu me fasses une place en toi. Mon amie a redémarré. Puis je n’y ai plus pensé.

Des années plus tard, tu es venue manger à la maison. Je n’avais rien à t’offrir. Tu diras plus tard « comme d’habitude ». Tu tenais ta cuillère d’une manière très élégante. Tu avais les jambes croisées sur la petite chaise de bois. Je ne te l’ai jamais dit, mais c’est la première fois que je voyais une femme en vraie. 

Je jouais les habitués. J’impressionnais avec ma tête et j’avais le cœur qui battait la chamade. J’avais des fourmis dans le bout des doigts. Quand tu m’as enfin touché et que j’ai compris que tu ne partirais pas, toute ma peau est devenue plus supportable. Je cherchais ta bouche dans le noir. Tu as fait briller ton corps. Même la lune s'en est allée. 


Aujourd’hui, mon imagination me fait mal. Les médecins croient que je suis malade. Ma peau est lourde depuis toi. Mon amie ne me parle plus jamais. Elle brille quelque part au nord. Je regarde par la fenêtre, la lune qui éclaire ton appartement. J’ai les mains engourdies. Et je dois encore faire l'épicerie. 



Schmout