mercredi 15 janvier 2014

Le premier ciel



Le site était immense. La scène, grandiose. Deux écrans géants étaient installés à mi chemin entre la table de mixage et la colline au fin fond du parc.

-  Vas-tu y avoir du monde jusqu’icitte ?

On était logé dans une roulotte, juste en arrière de la scène. Il y en avait plusieurs de la même compagnie et elles étaient disposées de manière à former un demi cercle étanche. Si on sortait de ce périmètre sécurisé, on aboutissait sur un petit étang. Ce dernier réfléchissait le ciel de cette fin de journée de juin. Il faisait encore chaud mais les espaces ombragés se faisaient de plus en plus nombreux, notamment aux abords de l’arrière scène. De là, on avait aussi une vue sur le chemin asphalté qui partait de l’entrée du parc, là où se trouvait le stationnement, pour aboutir au cœur du site. 

Les spectateurs affluaient.

-  Je pense ben qui va avoir du monde jusqu’aux écrans!

J’étais seul dans la roulotte quand Michel est entré.

-  Qu’est-ce tu fais là ?

Je prends mon médicament.

-  Un médicament par le nez ?

***

On est monté sur scène à 20h00, comme prévu. Des centaines de drapeaux du Québec flottaient dans le ciel rose orangé. Il y avait foule, jusqu’au sommet de la colline. Des enfants, des parents, des poussettes, des personnes âgés, des handicapés, des glacières, des torses nus, des ados maquillés, des couvertures, des verres de bière en plastique, des fleurs de Lys. 

Éric Lapointe était sur le côté de la scène pour voir le spectacle. Pendant le test de son de l’après-midi, il s’était aussi approché. Il n’en croyait pas ses oreilles d’entendre combien la voix du chanteur était identique à celle de Fiori. C’était à s’y méprendre. 

- Une fois, ils se sont parlé au téléphone, ils capotaient!

On a joué les premiers accords de « Aujourd’hui je dis bonjour à la vie » et c’était parti pour une quarantaine de minutes. Ma chanson préférée arrivait à la toute fin, juste avant le rappel. J’y faisais un solo de guitare électrique et des chœurs pendant le deuxième mouvement. J’avais le hoquet. Le spectacle était entrain de me passer sous le nez sans que j’en retienne aucune sensation. Je cherchais ma blonde au devant de la foule. Le soleil était presque couché. Et le solo de synthétiseur me broyait les tripes. 

On est sorti de scène à 20h45, comme prévu à l’horaire. J’ai repéré une toilette chimique près de l’étang où le guitariste de Lapointe prenait une marche avec sa blonde. Et j’ai vomi pendant quinze minutes. Émotions, nervosité. Tout y est passé. Michel était content de notre prestation. Son solo dans « Dixie » avait été particulièrement relevé et les cris de la foule avaient sûrement enterré mon hoquet. Notre gérant prenait des photos du band. Il sautait de joie.

-  Vous étiez sur des écrans géants, man !

Après le spectacle, j’ai mis plus d’une demi heure pour traverser la foule. J’avais mon étui à guitare dans une main. La fille de ma blonde ne voulait pas marcher. J’ai transporté les deux jusqu’au bout du chemin qui menait hors du site. Ma blonde avait manqué presque tout le spectacle. Elle était parvenue à la scène juste à temps pour les dernières chansons. 

-  Pleurais-tu pendant le solo? 

***

La visite de ma future école ne fut pas du tout concluante. Je dirais même que ça m’a découragé. Je n’ai eu aucune difficulté à trouver l’endroit ; c’est une espèce de gros entrepôt en ciment au milieu d’un terrain vague. Une grosse masse grise qui détonne, comme un Maxi ou un Home Depot. C’est là que je vais me faire former.

Je suis entré par la première porte que j’ai trouvée. Elle se trouvait au bout d’un petit chemin visiblement déneigé à force d’être emprunté, juste à côté du stationnement. Une fois à l’intérieur, j’ai tout de suite eu l’impression d’étouffer. L’endroit était mal éclairé. L’air, vicié. Les murs en béton couleur saumon semblaient vouloir m’avaler. L’idée d’y passer les treize prochains mois de ma vie m’a donné mal au coeur.

-  Ne sois pas si pessimiste, c'est le temps de l'année, ça fait ça à tout le monde. Expose-toi à la lumière du jour quarante minutes quotidiennement. Prends des Oméga-3! 

Tu as raison. Je pourrais sucer de la peau de truite pendant mes cours. 

-  Pourquoi tu fais pas de la musique avec un groupe, t'es super bon! 

Parce que ça me tord encore les tripes, Amour. 



Schmout

















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