Le site était immense. La scène, grandiose.
Deux écrans géants étaient installés à mi chemin entre la table de mixage et la
colline au fin fond du parc.
- Vas-tu y avoir du monde jusqu’icitte ?
On était logé dans une roulotte, juste en
arrière de la scène. Il y en avait plusieurs de la même compagnie et elles
étaient disposées de manière à former un demi cercle étanche. Si on sortait de
ce périmètre sécurisé, on aboutissait sur un petit étang. Ce dernier réfléchissait
le ciel de cette fin de journée de juin. Il faisait encore chaud mais les
espaces ombragés se faisaient de plus en plus nombreux, notamment aux abords de
l’arrière scène. De là, on avait aussi une vue sur le chemin asphalté qui
partait de l’entrée du parc, là où se trouvait le stationnement, pour aboutir au cœur du site.
Les spectateurs
affluaient.
- Je pense ben qui va avoir du monde jusqu’aux
écrans!
J’étais seul dans la roulotte quand Michel est
entré.
- Qu’est-ce tu fais là ?
Je prends mon médicament.
- Un médicament par le nez ?
***
On est monté sur scène à 20h00, comme prévu.
Des centaines de drapeaux du Québec flottaient dans le ciel rose orangé. Il y
avait foule, jusqu’au sommet de la colline. Des enfants, des parents, des poussettes, des personnes âgés, des handicapés, des glacières, des torses nus, des ados maquillés, des couvertures, des verres de bière en plastique, des fleurs de Lys.
Éric Lapointe était sur le côté de
la scène pour voir le spectacle. Pendant le test de son de l’après-midi, il
s’était aussi approché. Il n’en croyait pas ses oreilles d’entendre combien la voix
du chanteur était identique à celle de Fiori. C’était à s’y méprendre.
- Une fois, ils se sont parlé au téléphone, ils capotaient!
On a joué les premiers accords de
« Aujourd’hui je dis bonjour à la vie » et c’était parti pour une quarantaine
de minutes. Ma chanson préférée arrivait à la toute fin, juste avant le rappel.
J’y faisais un solo de guitare électrique et des chœurs pendant le deuxième
mouvement. J’avais le hoquet. Le spectacle était entrain de me passer sous le
nez sans que j’en retienne aucune sensation. Je cherchais ma blonde au devant
de la foule. Le soleil était presque couché. Et le solo de synthétiseur me
broyait les tripes.
On est sorti de scène à 20h45, comme prévu à
l’horaire. J’ai repéré une toilette chimique près de l’étang où le guitariste
de Lapointe prenait une marche avec sa blonde. Et j’ai vomi pendant quinze
minutes. Émotions, nervosité. Tout y est passé. Michel était content
de notre prestation. Son solo dans « Dixie » avait été particulièrement
relevé et les cris de la foule avaient sûrement enterré mon hoquet. Notre
gérant prenait des photos du band. Il sautait de joie.
- Vous étiez sur des écrans géants, man !
Après le spectacle, j’ai mis plus d’une demi
heure pour traverser la foule. J’avais mon étui à guitare dans une main. La
fille de ma blonde ne voulait pas marcher. J’ai transporté les deux jusqu’au bout
du chemin qui menait hors du site. Ma blonde avait manqué presque tout le
spectacle. Elle était parvenue à la scène juste à temps pour les dernières chansons.
- Pleurais-tu pendant le solo?
***
La visite de ma
future école ne fut pas du tout concluante. Je dirais même que ça m’a
découragé. Je n’ai eu aucune difficulté à trouver l’endroit ; c’est une
espèce de gros entrepôt en ciment au milieu d’un terrain vague. Une grosse
masse grise qui détonne, comme un Maxi ou un Home Depot. C’est là que je vais
me faire former.
Je suis entré
par la première porte que j’ai trouvée. Elle se trouvait au bout d’un petit
chemin visiblement déneigé à force d’être emprunté, juste à côté du stationnement. Une fois à l’intérieur,
j’ai tout de suite eu l’impression d’étouffer. L’endroit était mal éclairé.
L’air, vicié. Les murs en béton couleur saumon semblaient vouloir m’avaler.
L’idée d’y passer les treize prochains mois de ma vie m’a donné mal au coeur.
- Ne sois pas si pessimiste, c'est le temps de l'année, ça fait ça à tout le monde. Expose-toi à la lumière du jour quarante minutes quotidiennement. Prends des Oméga-3!
Tu as raison. Je pourrais sucer de la peau de truite pendant mes cours.
- Pourquoi tu fais pas de la musique avec un groupe, t'es super bon!
Parce que ça me tord encore les tripes, Amour.
Schmout
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