mercredi 22 janvier 2014

Plus vieux que l'hiver


Elle s'est laissée tomber à plat ventre sur le lit, en poussant un long soupir. J'avais le souffle court et me sentais beaucoup plus vieux que je ne le suis en réalité. Étourdi, je suis resté agenouillé derrière elle sans bouger, détaillant le petit dessin qu'elle avait de tatoué dans le bas du dos. Je voulais que cette image reste imprégnée en moi pour toujours, comme les gens font avec les plus beaux moments de leur vie. 

Elle s'est alors retournée brusquement, le visage caché sous une mèche de cheveux, mèche qu'elle replaça aussi tôt derrière son oreille pour laisser jaillir un immense sourire.

-  Ça coule!

Je me suis levé d'un trait pour aller à la salle de bain. J'ai pris une débarbouillette dans l'armoire sous l'évier et l'ai passée sous l'eau tiède avant de revenir au pas de course. Je me suis assis sur ses jambes et j'ai épongé délicatement le sperme.

-  C'est froid!

Pourtant, l'eau était tiède, que je me suis justifié dans ma tête, comme si on me chicanait à tort. Une forte impression de maladresse gonfla dans mon ventre puis me monta dans les joues. Je me suis senti rougir. Mon sexe s'était maintenant rétracté. J'ai terminé mon nettoyage à la hâte et j'ai laissé tombé la débarbouillette au sol avant de m'étendre à côté d'elle. 

-  Pourquoi tu ne t’étends pas dans le même sens que moi? 

Ne sachant pas trop la réponse, je lui ai pincé le petit orteil.

-  Aille, ça fait mal!

Elle s'est recroquevillée sur elle-même, puis est ensuite venue coucher sa tête sur mon torse en tirant le drap de coton sur nos corps. On s'est regardé en silence pendant de longues secondes. J'avais envie de lui demander comment elle avait trouvé ça, si elle avait aimé, si je l'avais fait jouir, si elle m’aimait. Je n'ai rien dit du tout.

J'espérais secrètement qu'elle entame la conversation sur le sujet, qu'elle me rassure. Mon coeur battait très fort. Je l'entendais résonner contre l'os de sa joue. Je craignais qu'elle s'en aperçoive, qu'elle me fasse la remarque. J'ai essayé de penser à autre chose. Quelque chose de calme et d'apaisant, comme un champ de blé à perte de vue, valsant au rythme du vent. Un avion qui passe en haute altitude. Le chant des insectes. Quelques nuages à l'horizon, flânants autour du soleil de midi. Respirer. Seulement respirer. 

Un léger ronflement me tira de ma rêverie. Elle s'était assoupie. La peau de ses flancs était lisse et pâle. Ses cheveux avaient une odeur subtile et excitante, comme celle qui arrive juste avant les orages. Elle semblait venir d'ailleurs tellement tout autour d'elle paraissait irréel. Ses bas collants lignés noir et mauve trainaient au pied du lit avec sa camisole. Ses vêtements avaient eux aussi un attrait singulier. Beaucoup de gris et de textures. De la laine et du feutre surtout. Son écharpe rose pendouillait sur un crochet dans l'entrée, juste au dessus de ses robustes bottillons de garçon.

J'ai relevé doucement sa tête pour libérer mon épaule ankylosée. Dérangée, elle a passé son bras autour de ma taille et m'a serré fort. Me suis demandé si elle me trouvait un peu gros. Puis, me suis dit qu'elle pouvait aussi se sentir en sécurité, là, contre moi. 

Au fond, je n'en savais rien.

La sécurité, ce sentiment étrange qu'on cherche à tenir en laisse par le billet d'assurances de toutes sortes. Ce sentiment qui m'échappe chaque matin, à la seconde où j'ouvre les yeux. Ce sentiment qui, à chaque fois qu'on m'en parle, me semble être une ile lointaine sur laquelle je ne poserai jamais pied. C'est un peu tout ça qui fait battre mon coeur trop fort. Heureusement, il y a des assurances pour ça aussi, les coeurs qui s'emballent et menacent de s'arrêter.

Du lit, nous pouvions voir à l'extérieur. La neige folle allait et venait dans tout les sens, dessinant des courants d'air au sommet des arbres morts. La petite porte moustiquaire craquait sous la force du vent. Le calorifère fonctionnait à pleine capacité. Il était à peine midi, mais on aurait dit qu'il était près de seize heures, tellement le temps était couvert. Les ciels d'hiver font souvent paraître le jour beaucoup plus vieux qu'il ne l'est en réalité. 




Schmout



                                        

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