J'ai immédiatement
remarqué les sucreries disposées à l'extrémité du bar, tout juste devant la
machine à expresso. Deux boites, peut-être trois; je suis trop loin. J'ai l'air
d'un idiot, tout seul dans mon coin, avec les manteaux. Ok. Me rapprocher du bar et des gens.
Commander un allongé. M'assoir sur le tabouret libre, juste à côté du gars
debout, avec la barbe pleine et les lunettes à la mode. Me donner un air faussement
habitué, presque suffisant, pour me décontracter. Je suis fébrile, et je suis déjà rendu.
Je ne sais pas pourquoi
j'ai demandé un court. Ça se boit trop vite. Je serai revenu à ne rien faire en
moins de deux. Des biscuits sont à un bras. Sobres. Des bonhommes en
pain d'épices. Vais-je avoir l'air d'un cochon? C'est là pour être mangé. Elle
en mange bien, elle!
- Ils sont bons, sont
mous!
Je salue le gars debout
qui me regarde, juste là. Lui tends la main. Sourire nerveux.
- Tu fais quoi dans la
vie?
Il y a quand même eu
entrée en matière, il me semble. Mais me souviens plus de rien.
Mon court est déjà
presque au fond. Je sens que je rougis.
- Je termine mes
mathématiques au secondaire.
Voilà, c'est dit. Je
bois la dernière gorgée d'un trait. J'aperçois du coup, une boite de cupcakes.
Il s'intéresse.
- 436, 536?
416. C'est pour suivre un cours en secrétariat. Je voudrais te parler de théâtre, de musique, de danse,
d'arts de la scène, d'écriture, de coupe de cheveux. Je devrais te dire que j'écris. Ça se dit bien.
Passepartout. Tout le monde écrit un peu, non? C'est mystérieux, quelqu'un qui écrit...
Il me suggère de gouter aux cupcakes. Il en connait les saveurs par coeur.
Choco-amandes, framboises-vanille, érable, thé vert, gingembre, arc-en-ciel, pâte-à-dents. Il connait
l'endroit d'où ils proviennent. La meilleure place en ville! Je tends un bras hésitant. Une
fille s'est approchée tout près. Elle se retourne vers moi.
- Salut, moi c'est
Julie.
Elle ressemble à mon ex,
Nathalia, en plus expressive. L'arcade sourcilière peut-être? Les cheveux blonds-blanc? De face, c'est
encore plus frappant. Incisif, presque. Elle dit qu'elle est enchantée. Je m'enchante aussi. Elle
m'offre de partager un cupcake rouge pompier au glaçage exagéré. Un demi en
fait, car la moitié manquante a donné le mal de mer à un gars qui se tient là,
juste derrière elle. Il est plein de tics nerveux, tangue, parle sur son
cellulaire et regarde au loin un horizon inexistant. Vas y, gros cochon, mange
ton quart de cupcake, toi aussi. Elle me regarde en souriant. L'idée de lui mettre le morceau de sucre en bouche m'a traversée vaguement
l'esprit. La musique change de tempo. Un air dansant et robotisé. Daft Punk, je
crois. Quelle heure peut-il bien être?
La bouche pleine, me
fait signe qu'elle revient. Je retourne à mes mathématiques, mon théâtre, mon
écriture. Le gars est fin comme ça se peut même pas. Il me comprend, me dit que
ce n'est pas ça l'important, que les ingénieurs ne sont pas plus heureux. Je ne
sais pas. J'en connais aucun. Il n'a pas de CELI, un peu de chômage. Sa monture
est parfaite pour son visage. Un beau gars, teint foncé, pas compliqué. Je sens qu'on
m'agace l'avant-bras de l'autre côté. Je sais que c'est Julie. Elle ne s'en
rend pas compte, c'est certain. Et si je me retournais? Mais non. Je reste le
regard campé dans celui du gars. Et j'ai terriblement chaud.
Un ami à moi vient nous
rejoindre. Je fais les présentations. Je ne sens plus rien sur mon bras. Je
suis irrité, tout à coup. J'ai mal au coeur aussi. Je me dénonce devant les
deux, que j'ai honte de ne pas être ingénieur.
- Tu devrais
écrire!
Je cède ma place à mon ami. Un peu plus loin et me
faisant dos, la fille est assise sur un coin de fauteuil, parle avec deux gars
en veston. Sa robe branchée, motifs rouges et noirs, lui fait des courbes
séduisantes. Elle parle fort. Les gars rient. Je les déteste, eux et tous les
autres. Ingénieurs ou pas.
Je retourne m'assoir au
bar. Cupcake.
Et je commande une vodka
double.
Schmout
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