samedi 11 janvier 2014

Paul, Dédé et le diabète.


Paul adore la musique. Chaque fois qu'on se rencontre, il ne manque jamais de me faire jouer dans les petits haut-parleurs de son ordinateur de bureau, une chanson des Floyd ou encore de Neil Young. Ça détend l'atmosphère. Et ça fait de lui un conseiller en emploi pas ordinaire.  

Paul a fait un infarctus du myocarde en 2001. Il avait 46 ans. Depuis, il vit avec 40% de son cœur.

-  En plus, je suis diabétique.

Il m’explique que, contrairement à moi, il n’est pas tombé dans l’alcool et les drogues dures quand il était jeune. Lui, c’était la liqueur. Toujours un 2 litres de Coke sur la table. Au point même où il a reçu un diagnostic d’anxiété généralisée avant d'atteindre l'âge de quatorze ans. 

-  Le problème, c’est l’éducation, c’est toute l’information à laquelle on n’a pas accès quand les parents sont toujours en mode survie.

Quand il a fait son infarctus, il était en vacances sur un terrain de Golf. Croyant d'abord à une indigestion, il s'était vite rendu compte que c'était plus grave. C’était comme si un géant lui avait broyé les épaules très fort pendant de longues minutes. Il suait abondamment, tellement qu'il pouvait tordre sa chemise. Une fois rendu à l'Hôpital, il s'était mis à vomir sur les plafonds et les infirmières. Il s’excusait d’ailleurs sans arrêt. 

-  Arrêtez de vous excuser Monsieur, vous êtes en train de mourir. 

Sur la civière, Paul était entouré d’un cardiologue, de l’urgentologue et de deux infirmières. Dans les vapeurs des injections de morphine, il entendait des voix.

-  Je pense qu’il est prêt en haut…
-  Oui.

Et puis le jeune cardiologue lui a inséré un ballon dans l’artère principale pour remonter jusqu’à l’embouteillage. L’écran diffusait tout en direct. Voilà, nous y sommes.

Les infirmières avaient le visage défait. Le cardiologue affichait un air impassible.

-  Merde.

Il me raconte qu’à partir de ce moment-là, sa vie a cessée de lui appartenir. Il a donné sa vie à celui d'en haut, un certain Christ Jésus, le Dieu de son enfance. Sa femme avait déjà l’habitude de le faire pour elle-même et pour leurs quatre enfants. Aujourd'hui, ils sont six à le faire. 

-  Tu dois me prendre pour un fou ?

Non. Sauf si tu manges du Kentucky.  

Le cardiologue a manœuvré quelques secondes à l’intérieur de la veine et a déployé un petit spring en travers du passage étroit. La plus jeune des infirmières a portée une main à son visage. Ils sont restés tous les cinq comme ça, dans le silence. Paul pleurait. L’urgentologue a parlé le premier.

-  ... Bravo... Bravo. 

***

Je lis présentement le troisième livres à avoir été écrit sur la vie d'André Fortin, le regretté chanteur des Colocs. On m'avait avisé qu'il s'agissait d'une biographie plus factuelle où Dédé apparaissait comme un être beaucoup plus bigarré que dans les précédentes. En effet, c'est un homme excessivement tiraillé que nous dépeint Philippe Meilleur. De sa plus tendre enfance, jusqu'à la fin qu'on lui connait. 

Quand j'étais plus jeune, j'avais sur la porte de mon réfrigérateur une photo de Dédé. Je l'avais découpée dans un journal et l'avait collée là, sans trop savoir pourquoi. Cette année-là, ma nouvelle petite amie m'avait offert pour mon anniversaire de naissance, la biographie écrite par Jean Barbe. Elle ne savait pas trop quoi m'acheter et se rappelait d'avoir vu ce visage au drôle de lunettes quelque part. C'est d'ailleurs ce qu'elle avait inscrit à l'intérieur de la page couverture. 

Le jour où il s'est enlevé la vie, mes amis et moi avions fait le tour du village de mon adolescence, bières et Ghetto Blaster à la main et avions fait résonner Dehors Novembre jusqu'à très tard dans la nuit. Nous avions fini la soirée par un jeu de cachette à la pleine lune sur le terrain de Golf. Ce soir-là, personne ne m'avait trouvé. Des années plus tard, à mon arrivée dans la grande ville, j'avais commencé à courir dans le fameux parc Lafontaine dont j'avais tellement entendu parler. Un bon matin du mois de mai, j'avais dévié de ma route. Mené par je ne sais trop quel instinct, je m'étais retrouvé rue Rachel. J'avais couru jusqu'au 863 et étais resté de longues minutes devant la maison des pâtes fraîches, scrutant le balcon de la rue St-André sous tous les angles. J'étais troublé, traversé d'émotions. 

Je pense qu'à quelque part, je trouvais la vie difficile. 

***

-  Veux-tu que je prenne ta glycémie, mon ami? 

Avoye donc, Paul. Je suis souvent déshydraté et fatigué. Je me lève aussi la nuit pour pisser. Ça fait ça depuis que ma blonde m'a laissé. Ben non, je pissais tout le temps quand j'étais avec elle. De toute façon, j'ai donné ça au grand Christ.

-  Une p'tite toune des Floyd?


Ah, pis mets-nous donc un peu de Colocs. 




Schmout

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