samedi 1 février 2014

Une dernière fois


La salle de bain est grande et dénudée d’artifices. Les murs sont sur le gypse et s’égrainent par endroits, surtout là où les feuilles tentent de se joindre. Un trou près de la porte dessine un poing au travers lequel je peux voir de l’autre côté, là où déjà était encastré le réfrigérateur. Il n’y a aucune bombe aérosol désodorisante, aucune boîte de papiers mouchoirs, pas une seule serviette. Rien. Seule une affiche de Sid Vicious déchirée couvre l’endos de la porte. La moitié gauche pendouille dans le vide, visant un carré de prélart beige qu’un quelconque objet de métal a taché de rouille. Au fond, le gros miroir sans cadre renvoie plus ou moins un plan taille. Il est fissuré dans le coin supérieur droit et tient sur un fragile comptoir de mélamine peinte en rouge brique. Le court néon au dessus de ma tête émet un buzz électrique continu ainsi qu’une lumière pénible. 

Dans ce miroir, je me vois mais ne me regarde pas. J’ai la vision trouble, comme si on agitait une pellicule transparente devant mes yeux en permanence. Je tire sur mes joues. Aucune sensation. La peau se remet lentement en place pour former cet horrible masque caoutchouteux. Mes cheveux ont commencé à former de petits amas durcis à plusieurs endroits. Mon corps meurtri est replié sur lui-même, comme aspiré de l’intérieur. Je n’ai plus de ventre. Mes épaules frêles tombent en avant et mes muscles amaigris n’ont plus aucun tonus. Les cicatrices sur mes bras ont tourné au mauve foncé et forment maintenant deux « Y » presque parfaits. Je suis prisonnier de ce corps qui ne m’appartient plus et n’arrive pas à ressentir l’enveloppe qui le délimite.

Il faut que je me lave, que j’essaie. Ça commence là. Il faut que je continue. Je ne peux pas m’arrêter ici, maintenant. Ce n’est pas possible. Je suis intelligent, je vais me reprendre. Tout est encore possible. J’ai une vie, des amis qui attendent, une copine à retrouver. Je vais recommencer à m’entrainer, reprendre de la masse. Je vais reprendre l'école aussi. Je n’aurais jamais dû vendre mon vélo. Il valait bien plus cher que ce que j’en ai obtenu. Il a profité de moi, de ma situation. Ils ont tous profité de moi. 

Je mets la douche en marche. Il n’y a plus d’eau chaude depuis Noël. De la glace liquide. Un électrochoc. Mon pouls ralentit. Les battements sont sourds, violents, s’espacent jusqu’à presque s’arrêter. Sortir de cette foutue douche. J'ai des vertiges, les oreilles bouchées. M’étendre au sol. Je suis pris de spasmes incontrôlables, contracté jusqu’au bout des ongles. Qu’est ce que je fais étendu ici sans que personne ne sache ? Pourquoi personne ne vient me chercher? 

Sid me regarde, semble se moquer. Faut que je sorte de cet endroit. Faut que ça s’arrête. Faut que je trouve vingt dollars. Tout de suite. 



Schmout


Philip Seymour Hoffman 1967-2014


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